Congrès des élus en Guadeloupe
J'ai jugé utile de mettre en ligne l'intervention que j'aurais dû tenir au Congrès des élus du 7 mai 2009 en Guadeloupe, à Basse-Terre. Malheureusement, chose gravissime, le collectif LKP a investi l'hémicycle une heure avant, obligeant ainsi le Président du Conseil Général à reporter le Congrès, tant les conditions pacifiques et de sécurité n'étaient pas réunies pour sa tenue. Beaucoup considèrent qu'il s'agit là d'une atteinte grave à la démocratie, et ceci d'autant plus que les leaders du LKP ont justifié leurs agissements en se déclarant représentants du peuple en lutte, et que désormais c'est par la démocratie directe qu'ils comptaient faire valoir leurs revendications. De telles déclarations font froid dans le dos. Aussi, quelque part, une partie de l'intervention ci-après avait malheureusement un côté prémonitoire. De tels événement m'incitent aussi à produire de la réflexion sur les mouvements révolutionnaires de type marxiste, dans ce qu'ils ont d'antihumanistes et de totalitaires. Et moi qui pensais que sur point, l'Histoire nous avait servi de leçon, et pas uniquement dans le cas de la Terreur avec le Comité de Salut Public, et de la révolution de 1917. Mais bien au travers de tous les événements révolutionnaires se réclamant du marxisme survenus durant le 20e siècle. Peut-on me citer un exemple de par l'Histoire où ce type de révolutions n'aient pas produit du totalitarisme ? Et à l'heure où en France les idéées révolutionnaires sont à nouveau en odeur de sainteté - au point d'inquiéter Villepin, et même Alain Minc -, je crois qu'il est temps de réinterroger de telles doctrines. Pour autant, reste que la question sociale doit demeurer au coeur de tout projet politique de gauche. Mais pas au prix d'un renoncement aux principes démocratiques. Là-dessus, oui, il faut le réaffirmer haut et fort, le libéralisme politique - que pour ma part je distingue du libéralisem économique - est un apport essentiel de nos démocrties modernes, malgré quelques contradictions, et tout particulièrement la question du droit de propriété comme droit inaliénable, mais peut-être surtout le fait que centré sur l'indivdu, il aurait conduit à l'hyperindividualisme, et donc à l'affaissement du politique, ou plus précisément du sens commun de la vie sur Terre. Mais c'est déjà un autre débat.
Intervention publique
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les élus,
Cher-e-s Concitoyen-ne-s,
Je mesure toute la solennité d’être ici et maintenant devant vous, et c’est un immense honneur pour moi de pouvoir intervenir publiquement sur des sujets aussi importants.
Aussi, je souhaiterais soumettre à votre jugement, en tant que jeune intellectuel engagé – même si j’emploie ici le mot intellectuel avec beaucoup de circonspection et de modestie – ces quelques réflexions critiques que m’inspire le thème de ce Congrès :
En préliminaire, je tiens à rappeler – même si c’est une évidence – que nous devons la tenue de ce Congrès, qu’en raison des événements historiques survenus récemment : je veux parler des 44 jours de grève portés par le collectif LKP. Car nul doute que cette effervescence sociale, extrêmement populaire, a interrompu le ronronnement rassurant de notre petit pays, et précipité l’amorce d’une prise de conscience collective pour le moins salutaire. Et c’est en cela que ce mouvement social me semble très positif.
Ce qu’a révélé aussi de manière aigüe cette mobilisation contre la vie chère, c’est l’ampleur du malaise social dans notre pays, lié en grande partie aux inégalités salariales, à la précarité, et à l’exclusion sociale. Cela constitue certainement l’un des maux les plus préoccupants de notre société, susceptible à terme de menacer notre contrat social. Et je pense ici plus particulièrement aux jeunes désœuvrés, dont le nombre de cesse de grandir, et pour qui les problématiques de l’insertion sociale et professionnelle devraient figurer parmi les préoccupations politiques les plus urgentes.
Or il faut être honnête, la question sociale en Guadeloupe – comme d’ailleurs au niveau national – a été depuis trop longtemps absente du débat politique, alors même que les problématiques du mieux être social, de la valeur du travail par rapport au capital, de la redistribution des richesses, de la solidarité et de la sécurité sociale auraient dû être au cœur des préoccupations des partis politiques locaux – à commencer par les partis de gauche –, quand on sait que notre département bat tous les records en matière d’inégalités sociales. C’est je crois, ce que tâche de nous dire en substance les organisations syndicales présentes aujourd’hui, et que désormais les élus locaux doivent entendre. Et, même si cela peut paraître anecdotique, il me semble utile pour étayer mon propos de rappeler ici que tout récemment la municipalité de Baïllif a tâché illégalement de faire fermer le CECAS, alors même que ce service public remplit une mission essentielle dans le domaine social.
Tout cela illustre aussi les rôles en théorie bien distincts – mais en réalité assez ténus – assignés entre syndicats et partis politiques dans une société démocratique moderne. Ainsi donc, les organisation syndicales, par la mobilisation et la protestation, vont porter sur la place publique des revendications collectives soutenues par l’opinion publique – par exemple la question des salaires ou des licenciements – dont en général la classe politique – et plus particulièrement celle qui est aux responsabilités – tient compte, ne serait-ce que par peur d’être sanctionnée ensuite dans les urnes. Soit dit en passant, il faut bien avouer que ces derniers temps en France, le Gouvernement fait preuve d’un certain autisme face au mécontentement social. Gare donc au retour de bâton.
Il n’empêche, il ne viendrait pas pour autant à l’idée de responsables syndicaux nationaux d’affirmer que la classe politique dans son ensemble aurait failli, et de prétendre se substituer au pouvoir en place, quelques soient les griefs faits au gouvernement. Car ils connaissent les dangers démocratiques et liberticides de tels écueils, l’Histoire de ce point de vue regorge d’exemples édifiants. Et pourtant, c’est le danger que je vois poindre chez nous, en Guadeloupe – mais j’espère fortement me tromper –, et qu’il est de ma responsabilité en tant qu’esprit libre de dénoncer. Car je m’interroge sur l’attitude présente des leaders syndicaux : Il est toujours saint en effet d’interpeller les élus locaux, sans langue de bois, et de leur demander des comptes eu égard à leurs responsabilités, mais il n’est jamais saint de discréditer la classe politique dans son ensemble, et d’en appeler à l’arbitrage du peuple. « La démocratie directe, c’est le règne du fait sur le droit » disait l’historien François Furet. En résumé, entre le peuple et sa volonté, il y a le droit et le respect de la légitimité des urnes, et c’est heureux. Or, s’il y a au moins une chose dont je suis absolument convaincu, c’est que l’Etat de droit démocratique, garant des libertés et droits fondamentaux, est le moins pire des systèmes politiques, sinon le seul viable. Mais c’est un contenant, et non un contenu. En particulier, le curseur social peut être déplacé plus à gauche ou plus à droite, selon les époques et le contexte. Aussi, je persiste et je signe : la révolution prolétarienne comme doctrine conduit toujours au totalitarisme, simplement – outre le fait qu’elle ne soit pas viable comme système économique – parce qu’elle est un antihumanisme. Mais cela ne nous empêche pas pour autant de reconnaître le génie de Marx quand il décrit avec une telle véracité les rapports sociaux de domination et d’exploitation consubstantiels au capitalisme. La crise mondiale actuelle nous montre sur ce point qu’il est urgent d’inventer la société post-capitaliste de demain, mais toujours avec en toile de fond l’Etat de droit, ainsi que le retour de l’interventionnisme keynésien. Mais je m’égare.
Alors j’en arrive pour conclure au sujet qui ce soir nous mobilise :
Le Congrès doit débattre et se prononcer sur un calendrier et une méthode d’élaboration d’un projet de société. Ce qui signifie que nous tentons ce soir de jeter les bases pour un nouveau contrat social. Car en effet, la crise à la fois sociale, sociétale et politique que la Guadeloupe a connue, impliquait une réponse politique d’initiative locale forte. Et quoi que puisse en penser certains leaders du LKP, les élus sont ici pleinement dans leur rôle, d’autant que contrairement à ce qui a été dit, il ne s’agit pas du tout ce soir de se prononcer sur une quelconque évolution institutionnelle. D’abord le contenu, le contenant viendra en temps et en heure.
Aussi, en lisant le document préparatoire élaboré par le Conseil général, force est d’admettre qu’il ne s’agit ni plus ni moins que de mettre en place de véritables états généraux, eux-mêmes arc-boutés sur le concept de démocratie participative, non pas dans un sens « ségoléniste » très électoraliste dans la forme mais vide sur le fond, mais bien plutôt celui brillamment développé par le Philosophe Bernard Stiegler dans son livre « de la démocratie participative ».
Et je voudrais saluer ce projet de qualité auquel personnellement j’adhère, et qui tranche incontestablement avec les états généraux mis en place sous l’impulsion du président de la République, organisés dans la précipitation, et non sans une certaine improvisation.
Comment ainsi espérer recueillir de vrais cahiers de doléance émanant de la base dans un laps de temps aussi court, et avec une telle organisation cloisonnée et si peu transparente ?
A n’en pas douter, nos concitoyens préféreront davantage s’investir dans ces vrais états généraux d’initiative locale. Reste malgré tout que nous devons être prudents sur l’idée de projet de société, qui renvoie toujours in fine aux aspirations bien différentes, selon ses sensibilités politiques. Mais gageons que les guadeloupéens sauront s’entendre sur un consensus minimum.
Je vous remercie d’avoir prêté attention à mes propos.
David Dahomay, le 7 mai 2009.