N'est-ce pas d'abord une crise existentielle ?

Publié le par David Dahomay

Suite à l’« Appel des économistes pour une VIe République, contre la finance et l’austérité » paru le 19 avril en Une de Mediapart (http://blogs.mediapart.fr/edition/sixieme-republique/article/190413/appel-des-economistes-pour-une-vie-republique-contre-la-finance-et-l-austerite), ci-après mes remarques relatives à cet appel :

 

N’est-ce pas d’abord une crise existentielle ?

 

Il me semble évident pour ma part, que cet étonnant appel de ces soixante économistes – et le fait que ce soient des économistes est loin d’être anodin, car nombre d’économistes, par ce qu’ils ont renoncé depuis trop longtemps à réinterroger et refonder de fond en comble leur discipline, ont aussi une large part de responsabilité dans l’avènement de la « Grande Récession » et des politiques économiques mortifères menées au sein de la zone euro ; voir sur ce point la très pertinente analyse de Martine Orange sur la « doxa économique » –, mérite notre plus grande attention (nous, citoyens engagés ou attentistes, qui cherchons à tâtons les lueurs d’une véritable nouvelle espérance).

 

Quoi qu’il en soit, je ne me résous définitivement pas à faire passer au second plan cette fameuse phrase prononcée par l’un des principaux initiateurs de l’appel du 5 mai : « il faut un grand coup de balai !» Nous savons trop bien ce qu’implicitement recèle comme dangers éminemment populistes une telle admonestation. N’est-ce pas là déjà une raison suffisante pour renoncer à s’y rendre ?

 

En outre, quand il est écrit que la cinquième République est par nature « antidémocratique », je demeure profondément circonspect. On aurait au moins pu espérer de la part de tels éminents universitaires, un peu plus de nuances. Car il n’est absolument pas certain que cette fameuse cinquième République (quoi qu’en ait dit Mitterrand dans son fameux « Coup d’Etat permanent »), soit par nature antidémocratique. Sans compter que son fonctionnement – et nous ne devons pas le négliger – est de plus en plus décentralisé. Que le régime soit trop présidentialisé et qu’il faille de nouveaux contre-pouvoirs, qu’il y ait une crise de la démocratie représentative, et qu’il faille travailler à un renforcement de la démocratie participative aux différentes strates institutionnelles, cela nous apparaît certain.

 

Mais ce serait à mon sens s’entêter dans l’erreur que de courir après une utopique sixième République, comme l’on court après la quête du Graal institutionnel. Je me méfie assez de l’« institutionnalisme transcendantal » (pour reprendre les termes d’Amartya Sen), pour entrevoir dans la situation présente qu’à trop se focaliser sur le changement des institutions et de gouvernance comme seule réponse à la crise (bien que je partage en grande partie nombre des préconisations formulées dans cet appel, et tout particulièrement concernant la politique économique et l’exigence de gouvernance démocratique et de redistribution au sein des entreprises), l’on passe sans doute à côté d’une attente et d’une espérance des opinions publiques nationale et européennes – bien que pour l’instant confuses et vaporeuses – plus fondamentales encore, et qui touchent à l’intarissable quête du sens collectif de notre existence sur la Terre, qui est un astre, au milieu de nulle part, dans cette double inconcevable infinité du temps et de l’espace. Qui touchent en somme au politique.

 

Jean-Pierre Dupuy, dans son récent ouvrage, « L’avenir de l’économie », ouvre des pistes de réflexions particulièrement intéressantes, notamment sur le fait que – trait le plus marquant de notre modernité, si ce n’est notre postmodernité –, l’économie s’est voulue auto-transcendante, et a cru ainsi pouvoir s’émanciper du politique. Pourtant,  « la capacité qu’a l’économie de réguler sa violence…nécessite qu’elle s’adosse à une véritable extériorité, qui, dans une société sans sacré, ne peut venir que du politique » (Jean-Pierre Dupuy).

 

Aussi, plus qu’une crise économique, sociale et politique, la crise que nous ressentons tous confusément en nous-mêmes, est peut-être aussi et surtout une crise existentielle (individuelle et collective). Gramsci prétend qu’« il y a crise quand l’ancien monde ne veut pas mourir et que le nouveau monde ne veut pas naître. » Il est probable qu’il ait raison, et que cela s’applique à notre ici et maintenant. C’est pourquoi celles et ceux qui s’obstinent à rester dans la même matrice de représentation et de compréhension d’un système économique et financier en pleine décomposition, et qui continuent aveuglément à appliquer les mêmes remèdes de politiques économiques, ne sont que les derniers Donquichottes d’un monde qui n’est déjà presque plus.

 

Sur ce point, la pensée de Jérémy Rifkin, qui sent déjà poindre une troisième révolution industrielle, mérite aussi toute notre attention.

 

Pourtant,  entre « l’abîme ou le réveil » (Edwy Plenel), quelque chose d’essentiel de nous-mêmes se cherche. Et n’est-ce pas précisément dans cet entre-deux, entre un monde qui n’est presque plus et un nouveau qui peine à naître, que peut apparaître le moment quasi-thaumaturgique révolutionnaire ? Mais d’une révolution toute autre que celle dont rêvent encore les marxistes (n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, sans aucun doute le plus populiste d’entre eux), ou même certains néoconservateurs. Je parle ici d’une révolution de la pensée et des esprits, seul préalable permettant d’entrevoir avec une clairvoyance renouvelée l’avenir.

 

Alors, comme une bouteille jetée à la mer, je citerai pour finir ces mots d’Hannah Arendt, piochés dans la préface de Between past and future (« Crise de la culture » dans la traduction française) : « Il conviendrait sans doute de remarquer que l’appel à la pensée se fait entendre dans l’étrange entre-deux qui s’insère parfois dans le temps historique où non seulement les historiens mais les acteurs et les témoins, les vivants eux-mêmes, prennent conscience d’un intervalle dans le temps qui est entièrement déterminé par des choses qui ne sont plus et par des choses qui ne sont pas encore. Dans l’histoire, ces intervalles ont montré plus d’une fois qu’ils peuvent receler le moment de la vérité. »

 

David Dahomay, 19 avril 2013.

Publié dans refonder la gauche

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