Réponse à Marc Jalet

Publié le par David Dahomay

Cher Marc,

 

Je viens de lire ton texte (voir texte ci-après). Que te dire ?

 

Tout t’abord, puisque tu me cites, une mise au point importante : Pour la plume, il ne s’agissait pas de moi ce coup-ci mais de mon père. Puis, il y a eu de nombreux amendements des autres signataires. Donc, je ne comprends pas bien le but recherché de me désigner ainsi nommément, ce d’autant plus que cela affaiblit la valeur des autres pétitionnaires, qui tous sont des citoyens très engagés dans la vie publique de leur île, et non des moindres. Soyons donc prudents sur cet aspect des choses.

 

Ensuite, ton texte soulève tellement de problématiques diverses, que l’on en perdrait presque la finalité première. Au fond, si je crois comprendre, tu sembles dire que dans le fond nous avons raison, mais qu’il aurait mieux valu malgré tout ne pas en rajouter, afin que l’espoir né avec le LKP ne retombe pas, est-ce cela ta pensée ? Je considère pour ma part, que dès lors qu’il y a atteinte aux principes fondamentaux, où qu’ils se trouvent, un citoyen respectueux de ces principes doit agir, quoi qu’il lui en coûte. Et pour ce coup-ci, force est d’admettre que nous payons le prix fort, et que nous n’avons pas encore fini d’encaisser les rudes sommations. Sur l’affaire du tribunal, je t’avoue mon ignorance complète de cet événement, et je le déplore, c’est un manquement de ma part.  Mea Culpa.

 

Mais enfin, nous devons aussi nous interroger sur l’impact qu’a eu cette pétition signée par quelques uns sur l’opinion publique. Pourquoi un simple texte suscite un tel émoi, et parvient à ce point à déstabiliser le LKP ? Je crois que cette pétition a libéré la parole, et nous ne pouvons sur ce point que nous en réjouir. Ce qui prouve bien aussi que les gens avaient peur de donner une opinion différente de celle officielle du LKP. Ne juges-tu pas inquiétant toi ce climat de peur, voire de terreur que font régner de façon très subtile certains leaders du LKP ? Je suis pour ma part convaincu qu’un mouvement est grand chaque fois qu’il inspire un sentiment de grande sympathie –parce que non violent – et de justice. Mais quand un mouvement inspire en se radicalisant – et il se radicalise parce qu’une faction du LKP est en train de dévoiler petit à petit ses vraies inclinations idéologiques et surtout politiques, et là-dessus j’espère que tu n’es pas naïf ? – autant la peur, ce n’est jamais très sain. Pourtant, je le dis haut et fort, ces 44 jours de mobilisation ont été un beau et grand mouvement, du moins jusqu’aux émeutes des derniers jours, et c’est avant tout pour cela qu’il a fédéré autant de monde. J’étais de ceux-là dans la rue le 30 janvier. Et cette fois-ci, il faut le souligner positivement, l’UGTG a su à peu près sortir de ses méthodes de terreur habituelles. Non que je sois naïf, étant moi-même syndicaliste, j’approuve dans certains cas très particuliers, une certaine radicalité des luttes. Et quand je n’approuve pas les plus extrémistes, du moins je peux les comprendre, comme par exemple la séquestration d’un parton qui n’a cure de ses salariés poussés à bout. Mais l’on doit tout de même s’interroger sur certaines pratiques – qui je l’espère finiront par être abandonnées tant elles desservent les causes que l’on défend – de l’UGTG, en particulier le fait de terroriser quelques fois les propres salariés de l’entreprise – y compris ceux parmi les plus modestes –, ou encore de systématiquement dans une manifestation, imposer aux commerçants de fermer rideaux. Au point que désormais, les commerçants s’autocensurent eux-mêmes en baissant leurs rideaux, pour toute manifestation, qu’elle soit UGTGiste ou pas ! Oui, je le crois définitivement : Plus un mouvement inspire un élan de sympathie par sa non violence et en même temps la grandeur des idées qu’il défend, plus il a de chances d’emporter l’adhésion.

 

Enfin, je ne souhaiterais pas en Guadeloupe que l’on sombre dans le manichéisme : Pour ou contre LKP. Ainsi donc, les signataires seraient anti-LKP, et ceux qui ne la signent pas pro LKP ? Et ci nous complexifions les débats mon cher Marc ? Personnellement, pour LKP chaque fois qu’il restera à sa place – c’est-à-dire d’abord un collectif issu de la société civile, et donc portant des revendications de celle-ci, quitte bien entendu si nécessaire à interpeler les élus pour les mettre face à leur responsabilité, mais tout en respectant leur légitimité – et n’enfreindra pas le respect des principes démocratiques et de respect de la personne humaine, mais contre LKP chaque qu’il enfreindra ces principes, et surtout lorsqu’il s’insinue subtilement comme mouvement politique, mais chose dangereuse, de type révolutionnaire et s’acharnant du même coup à délégitimer coûte que coûte la légitimité des élus.

 

Alors après, sur la question des élus qui feraient ce que bon leur semble dès lors qu’ils seraient élus, je t’encourage à relire ce que dit Jacky Dahomay sur la notion de société civile. Plus une société civile est agissante – pas dans le sens de l’activisme bien entendu, mais simplement celui de l’activité, comme par exemple les analyses et réflexions, voire propositions avancées dans ton dernier livre, ou encore les grèves et revendications, les manifestations associatives et culturelles, les pétitions, que sais-je encore ? – et plus elle va peser sur les décisions des élus. Mais cela suppose un véritable espace public, comme une grande agora en quelque sorte, aujourd’hui dématérialisée, mais que symbolisent tous les outils de communication : presse, médias audiovisuels, Internet, …  Espace où la parole est libre, où l’on peut donner son opinion sans subir en retour d’attaques ad hominem – tant que l’on respecte l’autre – où les citoyens puissent trouver du liant et se construire ainsi une conscience politique relative à la vie de la cité. Plus la société civile est active, et plus la démocratie est vigoureuse, et plus nos mandants politiques d’une certaine façon sont façonnés eux-mêmes par ce qui se dégage de la société civile. Mais il y a ensuite une distinction fondamentale à faire entre la légitimité des élus et la société civile. En effet, la société civile n’est pas le peuple, elle ne peut en être, car le peuple, au sens de la philosophie politique – et plus précisément de Rousseau –, est le titulaire de l’exercice de la souveraineté nationale. C’est le génie de Rousseau d’avoir compris qu’en incarnant la volonté générale dans une personne abstraite – le peuple –, l’on résolvait l’équation inextricable de la souveraineté exercée par un monarque ou une oligarchie.  Ainsi donc, c’est un contrat implicite passé entre tous les citoyens pour que le titulaire de cette souveraineté soit tous les citoyens, sinon aucun. D’autant que la société civile au fond est toujours dans des finalités catégorielles, et c’est en se constituant en citoyens que tous les membres de la société civile traitent de ce qui est plus fondamentalement politique, c’est-à-dire l’intérêt commun à tous. Mais dans les faits, ne pouvant tous l’exercer en même temps – même si de plus en plus, sur un certain nombre de sujets fondamentaux, voire même dans certains cas intéressant la vie communale ou territoriale, il faut encourager la démocratie directe, mais par le droit, et non le fait ! (comme par exemple envahir un hémicycle et se réclamer du peuple comme a pu l’affirmer Domota) – cette intérêt commun – et cela tient peut-être d’abord à la multitude d’une part, et d’autre part à la division des tâches et du travail consubstantielle à l’homme ; l’homme n’est-il pas un animal politique ? –  il faut bien déléguer le pouvoir, mais toujours par le droit. Donc la démocratie représentative à mon sens est de toute façon inévitable, voire même souhaitable. Et c’est d’abord cela que représente un élu politique : l’intérêt commun, que ne peut représenter la société civile. Même si, j’ai insisté sur ce point, l’élu est traversé par les activités et débats au sein de la société civile, et c’est heureux. Alors, encore une fois, oui LKP a raison, en tant que mouvement de la société civile, d’interpeler les élus, et que ceux-ci entendent les questions sociales,  pour celles qui relèvent de leurs compétences – car il ne s’agirait pas non plus de demander aux élus des comptes sur des compétences qui ne seraient pas les leurs ! –, mais non LKP a tort, quand il dit agir au nom du peuple, car il usurpe ce droit, cela a été suffisamment explicité dans la pétition. A moins effectivement de vouloir d’ores et déjà la souveraineté pleine et entière du peuple guadeloupéen ? Pourquoi pas, mais alors que ceux qui défendent ce souhait, au moins le disent clairement, et cessent d’avancer masquer. Car si le peuple guadeloupéen doit accéder à la pleine souveraineté, j’ose espérer au moins que de lui-même, par le vote, il l’aura décidé. Sinon, on en revient au principe rousseauiste : S’il ne l’aurait pas décidé, c’est que quelqu’un d’autre – ou une faction du peuple – aurait fait le choix à sa place, d’où encore l’usurpation, qui ici prendrait le nom de coup d’Etat, ni plus ni moins.

 

Pour ce qui est enfin des analyses et des propositions pour la Guadeloupe de demain, que tu appelles de tes vœux, cher ami, je n’ai pas attendu ta missive pour me mettre au travail. Je te renvoie à tous les textes que j’ai pu écrire, modestement, sur le sujet : http://daviddahomay.over-blog.com . Bonne lecture donc.

 

Et surtout, dans l’attente de critiques constructives de ta part, après lectures.

 

Bien amicalement. David Dahomay.  

 

N’effrayons pas ceux qui ont le désir de rebâtir !

Oui ! exprimons haut et fort notre indéfectible attachement aux valeurs de la démocratie. Le 7 mai 2009, le LKP nous a livré un curieux spectacle en envahissant l’hémicycle du Conseil

Général ! Mais l’esprit démocratique permet aussi de laisser chacun libre de désapprouver

certaines méthodes tout en saisissant le sens de certaines motivations dans ce contexte donné. Pendant la longue mobilisation du mois de février, et d’après un même rituel, une catégorie de manifestants a occupé une radio d’état, après que d’autres aient foulé le tribunal de Pointe-à-Pitre pour interpeller les plus hautes instances sur l’apparente iniquité de l’appareil judiciaire de notre pays. Qui a osé se prononcer sur de telles pratiques au nom d’une atteinte à la souveraineté de la justice ?!!

La légitimité des élus est un acquis incessible, mais légitimité n’implique pas recevabilité

absolue et assujettissement jusqu’à la prochaine échéance électorale ! Comme dirait Georges Bernanos, « c’est aussi le citoyen qui fait la république ! » À force de clamer que la rue ne pourrait remplacer les urnes, on en viendrait à douter que ce sont celles et ceux qui ont marché durant 44 jours, qui marcheront bientôt vers ces mêmes urnes, donnant quitus ou pas à un nouveau lot de promesses déja connues. Comment expliquer ces nombreux conflits qui s’enlisent malgré des accords signés suite une mobilisation mondialement médiatisée. Plus que ces images certes « dérangeantes » de

l’envahissement du Conseil Général, force est de constater qu’un climat social délétère

indiffère à nouveau tous les « chanceux » qui ont pu relancer leur « machine à faire du

chiffre » ! Ce calme sournois est selon moi le véritable avertissement annonciateur de l’oeil du cyclone. Si cette thèse se confirme, les vents qui menacent changeront de sens et seront plus dévastateurs, c’est une loi de la nature.

La plume de David Dahomay sous le titre de « soutenons les luttes sociales, mais défendons les principes démocratiques » arriverait-elle à point nommé ? Elle permet au moins à tous les camps de s’y retrouver. Et c’est bien ce qui peut gêner dans cette pétition! Le contenu de l’article est aussi pertinent qu’insidieux, car comment souscrire à de si justes récriminations sans céder à l’alarmisme politique ? Et comment désapprouver de tels arguments sans cautionner l’anarchisme et l’incivisme ? Cette pétition est du pain béni pour ceux qui n’ont pas entendu le cri de la rue, tout en n’ayant pas eu le courage de s’aligner ouvertement aux côtés des adeptes du « lésé sa jan i ja yé » .

Que l’on soit « elkapiste » ou pas, c’est finalement « la rue » qui est le réceptacle des dégâts de la crise post-conflit que nous vivons. Le temps est venu de se mettre à pied d’oeuvre pour que chacun porte sa pierre à l’édifice. Que se soit dans le cadre des états généraux qui, selon moi, risquent de servir l'inanité de l’urgence dans laquelle se construit notre société depuis 1946, que se soit pour aiguiller « la rue » et contenir ses fièvres « envahisseuses » par un travail de fond et de proximité visant une prise de conscience durable, pour un renouvellement des idées.

Si nous consentons tous que nous vivons un tournant de notre histoire, c’est que l’archipel

guadeloupéen doit désormais anticiper un autre modèle de développement, dans un contexte mondialisé au sein duquel il a toute sa place. Bienvenue donc à tous ceux qui aideront à transformer l’essai du 20 janvier en projet, pour convertir l’énergie des envahissements quels qu’ils soient, en actes concrets.

Oui, condamnons tous les écarts, mais de grâce, ne cédons pas aux diversions qui annihilent adroitement l’essentiel. N’éveillons pas non plus la nostalgie des dogmes dépassés à travers des échanges intello-hermétiques, voir des conflits de personnes qui pourraient à tort, effrayer ceux qui ont le désir de rebâtir « jantiman ».

P-à-P, le 13/05/09

Marc Jalet

architecte


Publié dans refonder la gauche

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F
Monsieur Dahomay, <br /> <br /> vous êtes en ce moment une voix rare pour dire ce que beaucoup de Guadeloupéens pensent.<br /> Mais les Guadeloupéens sont prudents.<br /> Peut-être pour attendre de voir d'autres paravents se dissiper ? <br /> Il n'empêche que vous avez du mérite.<br /> <br /> Nous avons vécu une longue grève.<br /> Eh bien posons-nous une simple question d'avenir :<br /> Après le grand kalbandage prévu par certains?<br /> Que restera-t-il du droit de grève ?<br /> Et de son exercice ?<br /> Est-ce que ceux qui terrorisent les salariés les plus modestes peuvent garantir aux travailleurs guadeloupéens qu'ils auront encore le droit de grève quand le code du travail ne sera plus .. français ?<br /> Hein ?<br /> Il y en a beaucoup d'autres, a explorer si le cœur vous en dit, mais en tant qu'employé cette question me vient en premier.<br /> <br /> Foss pou vou!
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